
Antisémitisme, islamophobie, thèses afro centristes… : Où commence le racisme ? Les deux philosophes, Marylin Maeso et Norman Ajari publient un livre dialogue et débattent de leurs divergences.
- Marylin Maeso, philosophe et essayiste
- Norman Ajari, philosophe, professeur à l’université Villanova de Philadelphie
Alain Finkielkraut reçoit les deux philosophes, Marylin Maeso et Norman Ajari, auteurs de Où commence le racisme ? Désaccords et arguments (Philosophie Magazine Éditeur).
Comme l'écrit Martin Legros dans la préface à leur livre d'entretien Où commence le racisme ?, les philosophes Marilyn Maeso et Norman Ajari appartiennent à la même génération, celle des attentats terroristes, de la montée de l'islamisme et de l'extrême droite, des débats autour du voile, mais aussi du retour des identités dans le débat public. Ils sont en outre d'accord sur ce constat : le racisme revient comme une peste au sens d'Albert Camus. Commençons par leur demander quels sont, à leurs yeux, les symptômes de cette maladie épidémique." Alain Finkielkraut
"On est tellement habitué à ne repérer que certains symptômes spectaculaires qu'on n'est plus capable de percevoir que le mal est encore là." (M. Maeso)
"L'image de la peste est bien choisie pour traiter de ce sujet parce que justement, à partir du moment où on file cette métaphore, on ne peut pas dire que le racisme revient, car ça implique qu'il aurait disparu à un moment donné. Ce que Rieux, le narrateur de La Peste, dit dans le roman à la fin, c'est que la peste ne meurt ni ne disparaît jamais. Et ce qui est intéressant avec cette métaphore, c'est que la raison pour laquelle on pense que la peste peut disparaître puis revenir — donc ici le racisme — c'est qu'il y a des moments où elle est flagrante, où il y a des symptômes flagrants — la maladie — et des moments où on ne voit rien. Mais ça n'est pas parce que les symptômes les plus flagrants peuvent venir à disparaître ou à s'amenuiser que ça veut dire que le mal, lui, disparaît aussi. C'est même tout le problème de ces épidémies, de ces maladies, qu'elles soient réelles ou qu'elles soient métaphoriques ; on est tellement habitué à ne repérer que certains symptômes spectaculaires que parfois, parce que notre vue baisse, parce que notre attention baisse, on n'est plus capable de percevoir que le mal est encore là."
"Concernant le racisme aujourd'hui, je n'ai pas l'impression qu'il y ait une nouveauté, en fait, dans ces symptômes. Parmi les nombreuses choses qu'on pourrait citer, on peut remarquer qu'il y a une obsession maladive de l'identité, et en particulier l'identité assignée aux autres. On peut parler aussi de certains sujets qui tournent en boucle dans certains médias, autour du danger que représente l'immigration — pas le sujet simplement de l'immigration en général, mais le danger que les immigrés en général représenteraient pour le pays, à la fois sur le plan de la délinquance, mais aussi sur le plan potentiellement de l'atteinte qu'il pourrait porter à la culture, à l'identité du pays. Tout ça pour moi, ce sont des symptômes qui mettent en évidence ce mal." Marylin Maeso
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"Le symptôme se place sur le plan des représentations, c'est-à-dire sur le plan de certains discours, sur le plan de la manière dont se déploie un certain nombre de rhétoriques, comme celle du grand remplacement, cette formule qui a été déployée il y a assez peu de temps par un sénateur de droite, de régression aux origines ethniques de certaines personnes des quartiers qui ont participé à des émeutes récentes. Cela, c'est effectivement le plan du symptôme, mais je crois que pour constater, pour examiner la maladie réelle, il faut voir le niveau des violences. Le niveau des violences, ce sont celles qui ont, par exemple, déclenché lesdites émeutes, c'est-à-dire une mise à mort ; par exemple, des situations de discrimination systématique au logement, professionnelles, contre un certain nombre de populations. Cela, me semble-t-il, effectivement, ce n'est peut-être pas un retour, ce n'est peut-être pas une nouveauté. Le retour se fait peut-être au niveau symptomatique ou "symptômal", c'est-à-dire au niveau de paroles, de violences verbales, d'expressions plus virulentes et plus débridées que jamais. Mais l'expérience du racisme, l'expérience des populations noires, arabes notamment en France, cette expérience-là, je crois, présente une certaine continuité." Norman Ajari
Abaya ou pas abaya ?
"J'ai l'impression que le débat qui a émergé depuis l'annonce du ministre de l'interdiction de l'abaya est un peu le même que celui qui avait émergé au moment de la question de l'interdiction du voile. Simplement, dans ce cas, l'une des questions qui se pose notamment du point de vue des enseignants — parce que ce sont eux qui vont être chargés de faire appliquer cette nouvelle loi — c'est où poser le curseur, où poser la limite, par exemple, entre une abaya à proprement parler ou une robe un peu ample ? (...) Est-ce que là, on va avoir le même problème avec une robe qui sera un peu ample, mais dont l'élève affirmerait que ce n'est pas une abaya, qu'elle l'a achetée dans tel magasin ? Est-ce que ça va être au professeur d'arbitrer ça ? Je pense que là, effectivement, il peut y avoir un risque d'arbitraire, et le risque aussi de faire tomber sur les professeurs une responsabilité qui ne devrait pas être la leur." Marylin Maeso
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"Je suis défavorable à cette interdiction et en plus, je vois tous les problèmes que cela va causer"(N. Ajari)
"On est vraiment dans cette situation où la laïcité ne résout que les problèmes qu'elle invente elle-même. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a décidé qu'une attitude mentale est exprimée par une tenue, il faudrait faire une enquête pour pouvoir révéler, à partir de cette apparence vestimentaire extérieure, l'âme des personnes qui portent ces tenues ; faire en quelque sorte du vêtement une fenêtre vers une expression intérieure qu'on imagine inadmissible, qu'on imagine dangereuse, voire qu'on imagine terroriste ? Cette manière de concevoir les choses ne me semble pas très probante, et donc je suis à la fois défavorable à cette interdiction, et en plus, je vois tous les problèmes que cela va causer. Là-dessus, je suis d'accord avec Marilyn Maeso. Il me semble que la situation va être inextricable et que c'est une manière peut-être de pousser les jeunes femmes à révéler davantage de chair, ce qui me semble une idée en soi assez étrange de la part d'une institution éducative." Norman Ajari
Sources bibliographiques :
- Marylin Maeso & Norman Ajari, Où commence le racisme ? Désaccords et arguments, Philosophie Magazine Editeur, 2023.
- Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l'islamisme pénétrer l'école, éd. Hermann 2020
- Sylviane Agacinski, Face à une guerre sainte, éd. Seuil, 2022
- Pascal Bruckner, Un racisme imaginaire, Islamophobie et culpabilité, éd. Grasset, 2017
- Edward W. Said, Culture et impérialisme, éd. Fayard, 2009
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