Sophie Abida fait partie de ces mères qui ont perdu la garde de leurs enfants au profit d'un père pourtant accusé de violences. - Sophie Abida
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Accusées de manipuler leurs enfants, elles seraient près de 500 mères à en avoir perdu la garde au profit d’un père pourtant suspecté de violences. Sophie Abida est l’une d’entre elles. Elle dénonce le traitement judiciaire qu’elle a subi au micro de Clémence Allezard.

“Justice pour mes quatre enfants” : c’est ce que scandait Sophie Abida devant le ministère de la Justice le 26 septembre dernier. Justice pour ses enfants, qui ont accusé leur père d’inceste et dont les dires ont été renforcés par des signalements de professionnels de la santé et de l’enseignement. Parce qu’elle a refusé de placer les enfants chez leur agresseur présumé, notamment la petite dernière de deux ans et demi, leur mère a passé trois semaines en détention provisoire pour soustraction d’enfant.
D'abord décrite comme une mère aliénante, son histoire est digne d’une intrigue kafkaïenne.

En janvier 2022, “de retour de week-end de chez son père, ma fille de quatre ans me révèle non seulement qu'elle est victime de violences physiques et verbales, mais aussi victime de viol de la part de son père, explique Sophie Abida. Elle décide alors de déposer plainte contre son ex-conjoint, qui a déjà fait l'objet d'un rappel à la loi et suivi un stage de parentalité l’année précédente. En attendant une décision, la mère ne présente pas ses enfants au père, qui, à son tour, porte plainte pour non-représentation.

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Le 9 janvier 2023, le juge des affaires familiales de Chartres rend sa décision : la résidence des enfants est placée chez le père. Le jugement fait fi des accusations répétées des enfants et des enregistrements corroborant leurs propos (des mouchards avaient été placés dans les doudous) et s’appuie sur une expertise psychologique, réalisée sans que la mère ni les enfants n’aient été vus, qui estime qu’elle les instrumentalise.

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C’est un choc pour Sophie, qui oscille entre tristesse et rage : “Depuis cette ordonnance qui me met à terre et qui met en danger mes quatre enfants, j'alerte tout le monde, toutes les institutions de protection des enfants, les associations”. Ses trois aînés lui sont arrachés alors même qu’ils “continuaient courageusement à dénoncer les faits”. Elle s’écrie : “Je ne peux pas dire au revoir à mes enfants et les laisser retourner chez leur bourreau de père violent ou incestueux” et filme ce moment d’une “violence inouïe”.

“Il faut que la France sache ce qu'ils [les juges] font aux enfants qui dénoncent les violences, qui dénoncent l’inceste”.

La petite dernière a échappé au rendez-vous chez la juge en raison de son jeune âge (deux ans et demi). Sophie refuse catégoriquement de la remettre à son père. Poursuivie pour soustraction d'enfant, cyberharcèlement et appels à la haine à magistrat, elle passe 48 h en garde à vue, puis est placée en détention provisoire à Orléans. Elle entame une grève de la faim : “C'était le moyen pour moi de résister à ces persécutions”. À sa sortie de prison, énième coup de théâtre : son ex-conjoint saisit la cour d’appel de Versailles pour la déchoir complètement de son autorité parentale. Sophie décide de saisir cette occasion pour tenter de défaire la première décision, celle qui a confié la résidence au père.

“L'audience a lieu. Je dénonce la mise en danger de mes enfants qui vivent actuellement chez leur agresseur dénoncé. Je dis que si monsieur est présumé innocent, alors moi, je veux bénéficier de la présomption d'innocence parce que depuis le début, on m’incrimine de parent aliénant, de maman dangereuse”. Elle est enfin écoutée, mais ce n’est qu’une demie-victoire. La juridiction refuse de se prononcer sur le transfert de résidence.

“Aujourd'hui, je n'ai pas de nouvelles de mes enfants. On est allé jusqu’à me proposer l’internement. Je me bats pour les enfants, je ne suis pas folle”.

Déterminée à poursuivre son combat tant qu’elle n’aura pas récupéré la garde de ses enfants, Sophie Abida et son avocate Pauline Rongier ont décidé d’attaquer l’État pour avoir échoué à protéger des enfants. Au média Politis, qui a consacré un dossier au combat des mères désenfantées, son avocate Pauline Rongier explique : "Nous engageons la responsabilité de l’État pour les fautes lourdes et le déni de justice commis par les magistrats de Chartres et d’Orléans. Ces magistrats ont confié la garde des enfants au père lorsqu’ils ont dénoncé à son encontre des viols. Ils ont refusé de prendre en compte les nombreux éléments corroborant les déclarations des enfants. Plutôt que d’enquêter correctement sur le père mis en cause pour viol, les magistrats tentent de neutraliser la mère qui les protège. Aujourd’hui, quatre enfants qui ont parlé sont mis en danger par les institutions judiciaires".

  • Reportage : Clémence Allezard
  • Réalisation : Charlotte Roux
  • Mixage : Dali Yaha

Merci à Sophie Abida, Nadia, Sabrina Djellal, et Vi

Pour aller plus loin

Vous pouvez soutenir Sophie Abida en faisant un don et en la suivant sur le compte Instagram @JusticePourMes4Enfants.

Mesurer l’ampleur des violences 
D'après un sondage Ipsos réalisé pour l'association "Face à l'inceste" (2020), 1 Français sur 10 affirme avoir été victime d'inceste. Le tabou qui entoure encore ce crime conduit à sa triste banalisation.
L’enquête VIRAGE (VIolences et RApports de GEnre) conduite par l’INED en 2015 révèle que près d’1 homme sur 8 (13 %) et près d’1 femme sur 5 (18 %) déclarent avoir subi des violences para ou intrafamiliales d’ordre psychologique, physique ou sexuel avant 18 ans.

Comprendre le concept d’”aliénation parentale” et sa dénonciation
Élaboré en 1985 par le psychiatre Richard Gardner, le syndrome d’aliénation parentale (SAP) donne, dans sa conception originale, un pouvoir exorbitant aux mères sur leurs enfants, suggérant qu’elles peuvent aller jusqu’à leur faire répéter de fausses allégations d’agressions sexuelles pour les éloigner de l’autre parent dans le cadre de séparation conflictuelle.

Malgré son absence de fondement scientifique (et sa misogynie), cette pseudo-théorie s’est largement diffusée et est encore utilisée plus ou moins explicitement dans la défense des pères accusés d’inceste par leur compagne et qui réclame la garde des enfants. Elle a fait l’objet d’une mise en garde dans les rapports du Grevio (groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, organe spécialisé du Conseil de l’Europe), une résolution du Parlement européen d’octobre 2021 et dans un rapport de l’ONU d’avril 2023.

La commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), dans son avis consacré aux mères en lutte (2021), appelle également à une grande vigilance quant à l'usage de ce concept et formule des recommandations pour assurer la sécurité durable du parent protecteur et des enfants, potentielles victimes.

Musique de fin : Que he sacado con quererte, par Birds on a wire - Album : Ramages (2020)

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