Marcel Proust, à l'origine du roman homosexuel
Neuf nouvelles inédites de l'auteur de "La recherche" viennent de sortir de l'ombre. On y découvre un Marcel Proust tourmenté par son orientation sexuelle, mais qui sera pourtant l'un des premiers de son époque, à lever le tabou de l'homosexualité dans la littérature.
Pour vous Proust c’est un écrivain moustachu mort il y a presqu’un siècle ? L’auteur d’un pavé de 4 000 pages ? Une madeleine ?
En fait, Proust, c’est l’un des premiers romanciers à aborder aussi frontalement son homosexualité.
Luc Fraisse, professeur de littérature : "L’homosexualité est mise en scène parce que c’est une nouveauté littéraire, ça existe depuis l’Antiquité mais de cette manière-là, c’est une nouveauté."
Son œuvre monumentale, À la Recherche du temps perdu est le récit d’un éveil sexuel. C’est aussi une autobiographie fictive. Mais bien avant La Recherche, Proust évoquait déjà l’homosexualité masculine dans des nouvelles qui sont longtemps restées secrètes avant d’être publiées en 2019.
Luc Fraisse : "Ces nouvelles d’ailleurs nous permettent de mieux comprendre qui était ce jeune homme de 20 ans qui considérait qu’une malédiction était tombée sur lui. J’ai été vraiment frappé du drame psychologique qui est le signe sous lequel Proust place cette première expérience. On voit s’ébaucher des scènes et des points de doctrines de Proust qui joueront un rôle important dans La Recherche du temps perdu."
Dans La Recherche, Proust ne fait pas son "coming out" à proprement parler. Il se cache derrière un narrateur mystérieux qui pénètre dans la haute-société du début du XXe siècle. Un narrateur jamais acteur mais toujours voyeur.
Luc Fraisse : "Beaucoup de personnages à la fin de À la Recherche du temps perdu se révéleront avoir été homosexuels, complets ou épisodiques, sauf le héros et narrateur, qui ne porte pas de nom. Proust a eu beau répéter que ce personnage n’était pas lui, bien qu’il parle à la première personne, on voit qu’il se sent impliqué puisque le héros est presque le seul qui soit exonéré de soupçon d’homosexualité. Le talent de Proust, c’est que son narrateur ne prend pas parti."
Proust se livre à une observation très détaillée des mœurs sexuelles des barons et des grands bourgeois. Il se livre à un véritable jeu de pistes avec le lecteur en faisant de nombreux sous-entendus.
Luc Fraisse : "Son homosexualité, elle sert aussi de tremplin, souvent, à une réflexion esthétique, comment le sujet vit son homosexualité, quel est le rapport entre ce qu’il essaye de cacher et ce que les autres devinent. Il est certain qu’il y avait là un facteur d’investigation psychologique extrêmement fine et que Proust peut déployer ce don d’investigation qu’il a."
Mais au long des sept tomes de La recherche, c’est pourtant une vision pessimiste et torturée de l’homosexualité qui se dégage. Une vision à rebours de l’homosexualité joyeuse célébrée par André Gide, son contemporain.
Luc Fraisse : "Ce qu’on appelle un peu curieusement la communauté homosexuelle, manifestait une sorte d’espoir, ils allaient recevoir une caution et ils ont été fort déçus, à commencer par André Gide qui trouve que l’homosexualité est peinte d’une façon tout à fait noire négative et désespérante. Chez Proust, vous avez tout un arsenal romanesque du mystère, tout un arsenal théâtral du coup de théâtre. Proust a besoin de drame psychologique pour qu’il y ait un engrenage d’analyse qui est finalement le moteur de La Recherche, le moteur de son narrateur."
Avec son œuvre, Proust contribue à lever le tabou de l’homosexualité dans la littérature et ouvre la voie à d’autres auteurs.
Références